Petite précision de départ, je n’aime pas Noël et les traditions religieuses ne m’intéressent que dans leurs dimensions sociologiques et historiques.
Les santons, j’en vois, j’en fréquente depuis l’enfance et je les ai toujours trouvés intrigants. On regarde une crèche et avec un peu de recul, on peut se dire: « mais qu’est ce c’est ce truuuc?« .
- Il y a l’anachronisme souligné par les vêtements antiques de Marie et Joseph versus les petites robes en boutis et les capes de berger des autres santons.
- Les santons ont tous l’air vieux, même le petit Jésus qui semble naître à l’âge de 18 mois.
- Marie, impeccable après l’accouchement, débout ou agenouillée.
- Les santons habillés ont le même format qu’une Barbie. (Enfant, je me disais que les santons étaient des barbies d’adulte…)
- Malgré leur allure surannée, j’ai aussi toujours trouvé les santons très bronzés. Certes, il s’agit de la couleur de la terre qui les compose et ce n’est pas illogique puisqu’ils représentent un peuple qui travaille dehors. M’enfin ils sont bronzés à Noël !?
- Ensuite, il y a les effets de profondeur accentuée par l’usage de santons tout petits sur l’arrière plan et grands devant.
- Et enfin, on assiste à la reconstitution d’un monde idéal pour certains, un monde perdu et éternel en même temps puisque les gens ressortent leurs santons chaque année.
L’origine des santons serait plutôt du côté de l’Italie à partir de la fin du XIIIe siècle. Représenter la naissance du Christ avec des personnages est une façon pédagogique de faire connaitre et de vénérer ce moment. Toutefois, cela ne fait pas partie de la liturgie.
Cette forme de représentation prend son essor au XVe siècle puis est impulsée au XVIe siècle par le concile de Trente.
La contre-réforme (-> en gros, la réaction et les remises en question des catholiques face au développement du protestantisme) provoque de nouveaux mouvements artistiques et de nouvelles dévotions. Les catholiques ont besoin d’unir leurs croyants autour de symboles.
Petit à petit, la vie quotidienne, celle que les gens connaissaient, s’est intégrée à la scène biblique de la naissance du Christ. L’influence de l’art baroque sur les personnages de la crèche rend cette dernière de plus en plus exubérante.
Dans la tradition napolitaine, on habille avec soin les statuettes (parfois marionnettes), on représente des mouvements du corps, des expressions sur le visage. Ces crèches sont étonnement vivantes et gracieuses. Les couleurs sont réalistes mais on y voit beaucoup de drapés. Elles sont fascinantes parce qu’on dirait le portrait exact d’une époque avec les codes d’un tableau de maître.
En France, l’art religieux prend un caractère grave, froid et profond.
Influencée par deux opposés, la Provence va entremêler l’Italie festive et le nord de la France tout en sobriété. (Par nord, j’entends Paris et compagnie, oui.)
Vers la fin du XVIIIe siècle, des santons habillés et articulés sont mis en scène autour de la naissance du Christ. Mais il s’agit plus d’un spectacle de marionnettes (genre Guignol) qu’un objet de dévotion.
Il y a un arrêt des crèches autour de la Révolution jusqu’au début du XIXe siècle où ça repart de plus belle. N’importe qui peut alors faire une crèche chez lui et faire payer l’entrée. Vers 1830, plein de petits spectacles à Marseille mélangent la crèche à des scènes d’actualité absolument anachroniques. Elles dévient sur des gags. Parfois, dans le spectacle, il y a des santons qui se battent… En tout cas, beaucoup aux gens adorent.
Un autre genre est créé: la pastorale. C’est un peu comme une crèche sauf que les santons sont des humains et qu’ils jouent un rôle.
Parallèlement à cela, les crèches familiales se développent dans un style beaucoup plus sobre. Elles sont privées et faites chez des familles plutôt aisées, aux pratiques religieuses sobres et sévères. Ces crèches ne représentent que l’étable, Marie, Joseph, Jésus, des bergers, un ou deux anges. Elles sont parfois vendues comme un ensemble sous verre, ce qui en fait un objet de curiosité dans le cabinet d’oncle Archibald.
A la fin XVIIIe et au XIXe siècle, le marché aux santons et aux santibellis se forme chaque année sur le Cours, appelé actuellement cours Belsunce. Il prend de plus en plus d’ampleur.
Notons que le santibelli est une représentation (qui se veut jolie) d’un saint et que l’on expose chez soi, sur un meuble. En écrivant cet article, je me rends compte que j’ai fréquenté des santibellis pendant des années dans ma famille sans savoir que c’était quelque chose de typique.
Pour les matériaux utilisés, il y a eu des santons avec des têtes en cire, des corps en bois, des santons en cartons moulés.
Au XIXe siècle, on les fait plutôt en mie de pain. On prend de la mie chaude, très malaxée (ça me rappelle les instants d’ennui à la cantine) et on la met en forme avec un moule, uniquement du devant de la figurine. Les vêtements sont également en mie, aplatie. Après un temps de sèche, les santons étaient colorés à la peinture à l’huile, puis vernis. Le problème, c’est que cette technique était chère et ne tenait pas trop dans le temps.
En réaction (d’après ce que j’ai compris…) à l’arrivée inopportune de santons en plâtre du nord, les santonniers provençaux ont massivement opté pour la terre crue au début du XXe siècle.
La crèche, telle qu’on la connait aujourd’hui correspond à des codes adoptés dans les années 1830. Entre les spectacles de santons qui se battent et les crèches familiales un peu rigides, une sorte de juste milieu s’installe dans les églises et chez les gens. En effet, si l’Eglise n’a pas spécialement œuvré pour le développement des crèches, il est certain que les curés de paroisse ont dû comprendre que la présence d’une belle crèche dans leur église était facteur d’affluence.
La crèche, chez les gens, s’appelle d’abord la capello. Elle est décrite comme une activité faite par les enfants de la famille autour d’un goûter. C’est sans doute dans ces foyers, que d’année en année, les crèches se sont codifiées tout en laissant les enfants libres de constituer des scènes qu’ils voyaient dans leur vie quotidienne. D’autre part, comme Noël en Provence est nourris de superstitions et que Frédéric Mistral est passé par là, les quantités de croyances et traditions liées à Noël ont été bien notées dans des livres et transmises de génération en génération.
Ce portrait du temps présent est devenu celui d’un temps passé idéalisé. On ne voit pas dans les crèches les industries lourdes qui ont fleuri à Marseille au XIXe siècle, ni la violence de la rue, ni les morts du choléra. Cette fossilisation en a fait un art naïf qui présente une Provence intemporelle et codifiée. La Provence est montrée jusqu’à l’invisible, avec par exemple le Mistral qui fait s’envoler la cape des bergers. Mais rien de sale, rien d’inquiétant.
Pour ma part, je dois avouer que même si je n’ai pas spécialement d’engouement pour les santons, je peux comprendre que cette « permanence identitaire » locale comme le dit Régis Bertrand, en rassure certains. La crèche représente la durabilité. Personnellement, je ne vois le durable ni dans la religion, ni dans les traditions, mais dans le mode de vie lent et écologique qui est mis en scène.
Je conclurai par un remerciement à cette personne qui me soutient tous les jours dans ce que je fais et qui m’a raconté ceci : quand il était petit, ses parents lui ont proposé d’acheter un santon de son choix au marché de Noël. Et lui il a choisi un chameau.
Un super article !
Mention spéciale au mouton colérique.
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Un nouveau santon est entré dans la crèche : https://www.google.com/search?q=santon+raoult&client=firefox-b-d&sxsrf=ALeKk01CGmuFuFmeyCa6GlSRYBWoJkx20A:1608236184734&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwiUw4XU6tXtAhUERxUIHQz7DegQ_AUoAXoECAQQAw&biw=1067&bih=563#imgrc=y2q3pq-RN9nlhM
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