Le mas provençal : principes et extérieur

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Avant d’être une chambre d’hôte ou une ruine sur le bord de l’autoroute, le mas était un habitat rural : une ferme. Les mas sont construits en s’adaptant aux enjeux naturels qui les entourent : le vent, la lumière, l’eau… Tout est pris en compte par les générations de constructeurs qui l’ont fait évoluer.

Chaque mas a son histoire. Je vous propose de partager ce que je sais d’un mas de Châteaurenard. Il a subi beaucoup d’agrandissements. Il se trouve au milieu d’un champ d’oliviers et d’autres terrains toujours agricoles.
Les façades de ce mas comportent tellement de reprises dans la maçonnerie qu’il est comme un cahier sans reliure. Remettre les pages dans le bon ordre est difficile. Par soucis de clarté, je vais m’en tenir à un seul scénario et ne pas m’étendre sur les autres possibilités ni les travaux des cinquante dernières années.

D’abord, quelques grands principes que l’on retrouve dans pratiquement tous les mas :

1. Le mas est construit sur une nappe d’eau ce qui permet aux arbres d’être luxuriants et de faire pousser facilement un potager.

2. mas_mistralIl est orienté en fonction du souffle du Mistral. Les murs qui reçoivent le vent sont dépourvus de fenêtres (la façade nord et les murs pignons). Une cour a été aménagée devant la façade sud. Elle comporte l’accès à l’eau (un puits) et deux platanes plantés devant la maison pour apporter de l’ombre l’été et laisser entrer la lumière l’hiver.

3. Il est construit avec des matériaux locaux : des pierres, de la chaux, de la terre. Le bois est réduit au strict minimum.

4. La maison tient grâce à deux murs porteurs dans lequel un escalier très massif en pierre est calé. Il se trouve devant l’entrée principale de la maison.

5. Tout ce qui est mis en oeuvre dans le mas va à l’essentiel, se veut fonctionnel, sans chichi.


Le premier espace construit du mas est la pièce commune au rez-de-chaussée. C’est là qu’on trouve le feu de la cuisine. Tout le monde dort là, mange là, vit là. Au-dessus, une grange est installée en hauteur. Le mas étant dans une plaine, il fallait garder les ressources à l’abri  en cas d’inondation.
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Le mas a ensuite été agrandi en hauteur et largeur. On a récupéré les mêmes pierres, on en a apporté d’autres et on a gardé les pans de murs qui pouvaient l’être.Mas_etape2_couleur_v2_anote

mas_fenetre_ancienneMais cette fois-ci, le propriétaire a engagé plus d’argent dans ses travaux en faisant appel à des professionnels. En effet, pour former les fenêtres, ce sont de gros blocs de pierre de carrière qui sont utilisés et non plus les arcs de décharge. fenetre_bam_photoEt pour installer ces gros blocs, il faut un charpentier.mas_fenetre_bloc

Le mode de vie de la famille du paysan a dû un peu changer car le premier étage est aménagé en chambre. En général, c’était soit le maître des lieux qui y dormait tout seul, soit le couple principal. Les autres membres de la famille (à part les bébés peut-être) restaient en bas.
Un grenier a été ajouté dans un deuxième étage toujours pour pouvoir mettre la production de la ferme à l’abri. Il est fortement probable qu’une première écurie ou étable ait été construite juste à côté de la maison, mais aucun indice ne me permet de deviner son ampleur.


Châteaurenard étant dans le cœur économique de la Provence agricole, le mas s’est sans doute beaucoup enrichi au point de s’agrandir encore dans un troisième temps. Un bâtiment reprenant les mêmes étages et continuant la toiture élance le mas dans un axe légèrement différent.Mas_etape3_couleur_v2_anotation

Cela a eu pour effet de considérablement agrandir le grenier, ce qui montre que le mas devait vraiment produire beaucoup.
Il est probable qu’il se soit passé beaucoup de temps entre la construction du premier bâtiment et celle de l’autre parce que les poutres les plus anciennes ont dû être remplacées alors que les plus récentes tiennent toujours.
Dans le mur on devine une grande ouverture au centre du premier étage qui devait être une grange.
Le rez-de-chaussée comprenait une étable (elle était encore là il y a 30 ans).


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L’ancien propriétaire m’a indiqué que la grange de ce nouveau bâtiment est devenue le lieu de sommeil des employés agricoles du mas. Cela explique sans doute que des extensions aient poussé sur les côtés. mas_lapinL’une comporte un mur ancien en terre (ou pisé : c’est fragile mais techniquement admirable) et devait abriter un poulailler ou des cages à lapins. L’autre est conçue avec très peu de soin ce qui me laisse penser que dans les années 1930 ou 1940, le propriétaire avait besoin d’un lieu pour ranger ses engins agricoles. Mais je n’arrive pas à expliquer la chronologie de ces deux ouvertures de plain-pied au premier étage.


crepi_photo2Quant à la couleur, elle correspond à un enduit très vieux.crepi_photo
Les mas étaient toujours crépis avec soin. Voir les pierres apparentes à l’intérieur ou à l’extérieur donnait un sentiment d’inachevé (comme si vous laissiez les blocs de béton à nu dans votre salon). D’autre part, cela ajoutait une isolation tout en protégeant la maçonnerie.
De l’ocre était utilisée dans la dernière couche, mais aussi de la tuile écrasée ce qui augmentait l’adhérence du mortier en accentuant ces couleurs chaudes. Dans d’autres cas, la couleur du mas était aussi fonction de la couleur du sable utilisé (un peu plus jaune par exemple).
Chaque année pendant les périodes où les travaux agricoles étaient moindres, on prenait soin de la maison en rajoutant une couche de badigeon à la chaux. Cela renforçait et assainissait l’enduit.porte_moche_photo

Il y a bien d’autres aspects à aborder pour comprendre la magie du mas provençal…

Tomettes

Cachées par du lino ou déposées. Voilà le drame intime que vivent les tomettes depuis tant d’années. Je les trouve pourtant toujours très belles dans leur simplicité. Il me semble qu’on peut en parler comme d’un patrimoine local, même si on trouve des tomettes ailleurs en France. Aujourd’hui en Provence, elles sont en général dans les cages d’escaliers des 3 fenêtres où elles tiennent le coup tant bien que mal, mais aussi dans les anciennes maisons types bastides ou maison bourgeoise.carreaux_tomette_couleur

Ce sont des carreaux de bonne qualité, capables de tenir dans le temps, ce qui n’est pas le cas d’autres carreaux anciens. Les tomettes doivent leur solidité à la bonne qualité de l’argile qui doit être fine (la main de l’artisan aide aussi à augmenter cette finesse), à la longue cuisson qu’elles subissent et à leur forme hexagonale qui rend les angles plus solides à l’usage (c’est moins pointu).

carreaux_pape_couleursLeur couleur rouge foncé était donnée par un bain d’eau et d’ocre avant la phase de séchage puis de cuisson. On en trouve d’autres couleurs comme au Palais des Papes
à Avignon. Mais cela résulte en général du goût et de la richesse du propriétaire. Le rouge foncé commun a toutefois beaucoup de nuances différentes. Ce sont des matériaux naturels, donc variables.  Dans le cas de restauration, il est toujours difficile de retrouver la teinte exacte des autres tomettes encore en place.

carreaux_cuisine_couleurD’autres formes existaient, notamment pour soutenir le toit, protéger les murs et les potagers (cuisine). On privilégiait des mallons (li maloun en prouvençau, mallon veut dire carreau en général) carrés ou rectangulaires et on les émaillait pour les protéger du contact régulier de l’eau et de la chaleur.

Ils constituent en fait une des grandes caractéristiques de l’habitat provençal qui utilise le moins de bois possible et privilégie la terre et la maçonnerie. Jusqu’au XVIe siècle environ, le sol des maisons populaires était soit sur de la terre battue, soit dallé de pierres, parfois de béton. Je n’ai aucune idée d’à quoi ce dernier pouvait ressembler. Peut-être un mélange de gravier avec de l’argile ou de la chaux, étalé sur le sol? Dans les trois cas, on était face à un problème d’hygiène car, la Provence étant venteuse et poussiéreuse, il devait être difficile de garder son intérieur propre. Les tomettes forment un sol lisse facile à nettoyer, qui tient au frais l’été.carreau_petite_fil_couleurs En ajoutant la proximité des lieux de production, c’était assez d’avantages pour qu’elles se généralisent dans la majorité des maisons.

Bref, des mallons conçus avec un matériau propre à la région, adaptés aux fortes chaleurs des étés bucco-rhodaniens, qui vont avec n’importe quelle déco… Alors pourquoi le lino?

 

 

Les bastides

On confond souvent les mas et les bastides. Et Marcel Pagnol, en allant passer ses vacances à la « Bastide neuve », n’a pas aidé à garder la vraie définition dans la mémoire collective. En effet, il part en vacances dans une sorte de gros cabanon.

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Les bastides sont pourtant vraiment caractéristiques du sud de la Provence et constituent un patrimoine monumental important, beau mais souvent en danger.

Qu’est-ce-que c’est exactement?

  • Une bastide est une très belle baraque avec du terrain.
  • Elle sert à la fois de lieu de villégiature pour son propriétaire, mais aussi d’investissement financier. Une bastide a TOUJOURS un versant agricole par lequel elle produit une rente.

Pour éclaircir cela, il faut un peu recontextualiser.

L’habitat bastidaire débute approximativement vers le XVIe siècle, époque où Marseille connaît un essor économique important. Les négociants et armateurs s’enrichissent grâce au port, aux échanges commerciaux que ce dernier rend possibles. Or un propriétaire de bateaux peut tout perdre à tout moment à cause des naufrages, c’est pourquoi il doit mettre en sécurité une partie de ses bénéfices. L’immobilier lui donne cette sécurité. Les bastides apportent aussi des produits de très bonne qualité tels que le vin et l’huile d’olive que l’on échange contre des denrées qui ne poussent pas sur le terroir dans le cadre du commerce méditerranéen. Je pense au blé italien par exemple.

D’autre part, Marseille est une ville plutôt sale (c’est P. A. Vidal-Naquet qui le dit, cf. Bibliographie). Son centre-ville est oppressant, notamment l’été. Quand il commence à faire chaud à la fin du printemps, ces gens riches quittent leur hôtel du centre-ville pour se retirer dans leur bastide pour être au calme, entre eux, pour respirer un air sain et avoir une jolie vue.

En effet la plupart des bastides sont faites pour être à l’abri des regards, mais dégager une longue perspective qui se faufile parfois jusqu’à la mer. Pour illustrer cela, on peut prendre l’exemple de la très belle bastide de Guillermy malheureusement jouxtée par l’A7. Elle est d’une architecture très aboutie avec ce toit coloré et ces volumes. Elle a dû être probablement une des plus belles bastides du secteur. Vous remarquerez en passant sur l’autoroute (dans la direction Marseille) la vue qu’elle domine. Elle voit la mer, la colline de la Garde et si on se remet dans la vue du XVIIIe siècle, les entrées nord de la ville.bastide populo_2_colo

D’autres bastides sont d’une architecture un peu plus rustique (souvent, c’est dû fait qu’elles sont plus anciennes que les autres), mais elles n’en gardent pas moins leur double statut villégiature/agriculture.

L’expansion urbaine de Marseille a grignoté le terroir des bastides et les a parfois intégrées dans le tissu urbain. Il est difficile de donner des éléments infaillibles pour les reconnaître. Disons qu’elles sont souvent massives, de forme plutôt carrée avec de petites fenêtres sur le dernier étage (mais parfois non). Elles sont perchées, clôturée de murs, ne sont pas forcément dans le bon sens par rapport à la route, possèdent des dépendances…

En outre, il ne faut pas les confondre avec les villas du Prado et du Roucas Blanc construites au XIXe siècle qui ont un petit jardin d’agrément, mais qui n’ont jamais eu de vocation agricole, uniquement de villégiature.

La plus célèbre bastide est celle des Borély.
Elle n’est pas la plus typique car elle est plutôt ostentatoire. Elle ne cherche pas à se cacher et vient illustrer la réussite sociale et financière d’une famille. On remarque également que la bastide Borély est perchée sur des terrasses, ce qui lui permet de dégager une perspective sur ses jardins. borely_coloré.png

On peut aussi citer la maison au crépi rose de Luminy qui a été la bastide des Fabre, grande famille marseillaise, la bastide du 10 avenue Alexandre Dumas qui a changé un grand nombre de fois de propriétaires ce qui illustre l’investissement foncier qu’elle était avant d’être un patrimoine familial. Il y en a aussi une rue Jacques Hébert, rue Landier… Les belles bastides sont souvent devenues des mairies, des hôtels, des endroits pour faire la fête de son mariage…

Il existe aussi les cas de bastides qui ont vendu leur terrain pour lotissement et qui ont disparu laissant juste leur portail d’entrée (le croisement rue Negresko/Bd Michelet), soit qui sont entourées d’immeubles contemporains (la résidence les Aloades par exemple située entre la campagne Pastré et la Marine Marchandes, elles-même anciennes bastides!).

Le sujet est vaste et je ne manquerai pas d’en reparler. Pour le moment, il faut ouvrir les yeux quand on se promène dans les rues Marseille et même ailleurs en Provence.
Les bastides sont partout.

Le cabanon

cabanon_males_colo (500x279)S’il fallait donner une définition du cabanon à Marseille, je dirais que c’est l’art de se satisfaire de bonheurs simples. Il se rapproche plus du patrimoine immatériel que d’un patrimoine bâti à proprement parler (il n’y a pas vraiment d’unité architecturale en plus). Toutefois, précisons qu’il existe le cabanon près de la mer tel qu’on le montre au monde depuis plus d’un siècle et le cabanon dans les terres dont on parle moins, mais qui a formé des quartiers entiers à flanc de colline. Celui-ci a disparu parce que les usages de villégiature ne sont plus les mêmes qu’avant, ou s’est pérennisé en vraie habitation du fait du développement des transports.
Bref, aller au cabanon est une pratique de jour de congé. On y va pour profiter du beau temps, s’occuper des plantes (les cabanons des terres avaient souvent un potager), pêcher, passer du temps avec les amis, se baigner… être au calme face à un beau paysage.

Pour revenir aux origines du cabanon, il y a plusieurs pistes à suivre.

La cabane de pêcheur

Sous l’Ancien Régime, les pêcheurs avaient le droit de construire sur le domaine public maritime, c’est-à-dire sur la côte. Ces constructions étaient alors considérées comme un outil de travail pour la petite pêche côtière et permettaient de se mettre à l’abri en cas de mauvais temps. Le cabanon était au pêcheur ce que le jas était au paysan: un lieu pour ranger des outils, pour pouvoir se reposer et être sur place la nuit ou aux aurores quand il le fallait.

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La Madrague

 

La maison du pauvre

Le cabanon est aussi devenu, petit à petit, une habitation quotidienne pour les familles pauvres. Marseille connaît à partir du XVIIIe siècle diverses vagues d’immigration, comme les pêcheurs catalans et italiens. Très pauvres et liés aux métiers de la pêche, il est fort probable qu’ils se soient installés dans des cabanons.

Un événement a aidé le phénomène: il s’agit du percement de la rue Impériale, aujourd’hui rue de la République. Construite dans l’épaisseur d’une colline, la rue Impériale a nécessité la destruction de plus de 900 maisons de la vieille ville et de 61 rues. La population qui vivait dans les maisons détruites a été obligée de trouver un autre lieu d’habitation. Une grande partie d’entre elle a pu aller vers le sud de la ville, là où il n’y avait alors ni villa ni bastide : au bord de la mer (l’actuelle Corniche Kennedy et les plages avant leur aménagement dans les années 1970).

Si cela a donné l’occasion à des populations pauvres de s’installer au bord de mer, ce n’est pas vraiment une chance. En effet, des photos d’archives montrent des cabanes sommaires. L’hiver, les jours de Mistral, les jours de tempêtes, on peut imaginer l’insalubrité, la précarité et la dangerosité de ces habitations. Au final, il s’agissait d’une sorte de bidonville au soleil.

Au fil du temps, les populations bourgeoises ou nobles ont fait construire leurs villas juste au-dessus de ces cabanons attaqués par la mer. Cela a contribué à chasser les cabanons plus loin sur la côte.

D’autre part, au XIXe des industries lourdes poussent d’abord en centre-ville, puis aux périphéries. Les ouvriers habitent non loin de leurs usines dans de modestes maisons plus ou moins proches du format du cabanon. C’est là où demeure une ambiguïté : le cabanon est un lieu d’habitation des ouvriers, mais sans doute aussi un poumon. C’est-à-dire que  ces hommes respirent des vapeurs toxiques toutes la journée et ils cherchent sans doute un endroit sain et agréable où vivre quand ils ne sont pas à l’usine.

Une villégiature populaire

dormeur01_colo À la fin du XIXe siècle, le cabanon devient vraiment l’expression consacrée de la villégiature des personnes ni riches ni pauvres.

Jusque dans les années 1920, le cabanon est vu comme un lieu d’hommes célibataires, un lieu de réjouissance. On pratique la pêche de loisir, on joue aux cartes à l’ombre d’une treille et surtout, on mange bien.

La cuisine du cabanon prend ce caractère masculin qu’elle conserve pendant très longtemps, si ce n’est encore aujourd’hui. Elle est la plupart du temps grillée. L’aïoli, la bouillabaisse et la bourride célèbrent la virilité de ceux qui la font avec des goûts forts et épicés.

Quand il s’agissait encore majoritairement de groupes d’hommes qui se réunissaient ensemble, le cabanon était réputé sale. On y mettait très peu de meuble. On s’habillait avec des vêtements usagers voire déchirés (ce qui à l’époque était plutôt choquant)…

Vers 1920, les femmes commencent à venir au cabanon en été. Au fil des mariages de ces jeunes hommes, chaque couple prend un cabanon individuel, idéalement proche de celui des autres. L’entrée de la famille au cabanon en finit avec les rigolades de jeunes mâles célibataires et change certaines attitudes.

La présence des enfants exige aussi l’amélioration du confort et de l’hygiène. Le cabanon passe progressivement d’un refuge négligé abritant un groupe d’hommes, à un petit foyer aménagé très simplement.cabanonfamille018COULEUR

La généralisation des congés payés en 1936 change totalement la donne. Le cabanon devient un lieu familial.

La seconde guerre mondiale a donné des besoins de récréation à la population marseillaise (ailleurs aussi sans doute) et a contribué à l’augmentation de la fréquentation des cabanons. Reste à définir ce qu’est le cabanon aujourd’hui, mais je ne m’y risquera.

La maison de village

maison_village_ext_bonhomme_coloPar maison de village, j’entends un petit immeuble d’un ou deux étages comprenant une ou deux fenêtres par étage en façade.

On dit souvent que Marseille est le résultat du regroupement de dizaine de petits villages. C’est cela qui donne à ses quartiers leurs caractères propres. De ce fait, entre les constructions contemporaines et les trois fenêtres, on trouve ces maisons plus modestes et plus anciennes qui ont l’air de sortir d’une crèche. C’est bien sûr dans ce qui reste de la vieille ville, le quartier du Panier, qu’on en trouve le plus. Les maisons du Panier suivent un tracé cadastral médiéval qui s’appuie lui-même sur les routes antiques. Les rues et les parcelles sont donc petites. La façade est réduite et l’immeuble relativement profond.

facade_maison_village_couleurToutefois, les maisons de village qui sont plus en périphérie de la ville ont généralement un peu plus de place pour la façade, mais restent modestes parce qu’il s’agit d’habitat rural au sein d’un hameau. Il ne faut aussi pas les confondre avec les petites maisons d’ouvriers qu’on trouve en concentration autour d’une ancienne usine par exemple. Et comme ces usines ont été délocalisées à l’extérieur de la ville au cours du XIXe siècle, il est difficile de s’y retrouver. Il arrive que l’on se retrouve face à des réutilisations de bâtiments au fil des siècles, à la démolition et reconstruction avec les pierres du bâti démoli etc… ce qui peut induire en erreur ou rendre la lecture de la maison illisible.

En tout cas, le principe général de la maison de village est de conserver les fonctions d’un habitat rural sur une petite surface. On retrouve ces problématiques dans les villes et villages provençaux. Elles sont en fait adaptées à un mode de vie lié à l’agriculture et à l’artisanat, qui date à peu près de l’époque moderne.

La cave

Il arrive que des caves contiennent un accès à l’eau et parfois un lavoir, du moins à Marseille. Mais en général en Provence, la cave est faite pour faire du vin. Une cuve y est maçonnée de façon à y verser le raisin écrasé par le dessus et récupérer le jus fermenté par le dessous. Ce jus était ensuite mis en tonneaux à côté de la cuve. C’est important parce que le terroir marseillais a très longtemps produit un excellent vin. C’était une des principales richesse de la ville.

Le rez-de-chaussée

L’agencement du rez-de-chaussée dépend de la nature du travail des habitants.

Sont-ils des agriculteurs ? Des artisans ? Des commerçants ?

Dans le cas de l’agriculteur qui aurait donc ses champs ou ses bêtes en dehors du village, il y range ses outils (et il y en a un paquet). Pareil pour un pêcheur. Le lieu peut aussi faire office d’écurie, d’atelier quand le cas d’un artisan, de boutique dans le cas d’un commerçant.

Cette pièce peut aussi contenir une petite pièce noire de stockage dans laquelle on place les jarres d’huile d’olive en terre cuite, c’est à dire ce que la richesse de la famille pour une année.

Le premier étage

Divisé entre la surfaces des escaliers et celle de la cuisine qui fait office de pièce à vivre principale, le premier étage accueille le feu de la maison, que ce soit une cheminée ou un potager.

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Le deuxième étage

C’est là où on dort. Est-ce qu’une famille nombreuse dort dans une même pièce ? Je ne sais pas trop et je doute de cette idée bien qu’au Moyen Âge, cela se faisait. Il y a des chances pour qu’on ait pu répartir les gens un peu de partout dans la maison : en laissant le maître, ou le couple principal et les enfants en bas âge dans ce 2e étage, en répartissant les enfants plus grands et les aides dans le reste de la maison (dans l’écurie, dans la cuisine, dans le grenier…).

Après tout, dans Angèle (film de Marcel Pagnol 1934), on voit Amédée, l’aide agricole, dormir dans un four…

Le grenier

maison_de_village_grenier_colo2Ce que l’on peut faire dans un grenier dépend de la toiture du bâtiment. En effet, la toiture peut reposer sur une génoise maçonnée, ce qui va en faire une pièce fermée et relativement isolée. Mais le toit peut aussi s’appuyer sur les murs en faisant dépasser les chevrons vers l’extérieur. (Les chevrons sont de longues pièces de bois qui sont perpendiculaires aux poutres du toit, et qui soutiennent grosso modo la maçonnerie des tuiles.) Bref, quand les chevrons dépassent, le grenier est offert aux vents, ce qui peut en Provence s’avérer précaire et dangereux. Cependant, avoir beaucoup d’air dans son grenier permet aussi de faire sécher des fruits, des légumes, de la charcuterie, du poisson pour les saisons suivantes. C’est donc là qu’on entrepose les produits qui doivent être maintenus loin de l’humidité. On peut aussi y entreposer du foin grâce à une grande ouverture dans le mur et une poulie.

Les appartements des 3 fenêtres

Les appartements marseillais des 3 fenêtres sont à l’origine presque tous agencés de la même façon bien qu’il y ait parfois des variantes en fonction de leur époque de construction.

Il s’agit d’un appartement traversant, comprenant deux chambres, une salle à manger, une cuisine, une ou deux alcôves et une ou deux pièces noires qui font souvent offices aujourd’hui de salle de bain.

Les chambres donnent sur la rue, la cuisine et le salon donnent sur la cour et assez souvent, sur un tout petit balcon. Au milieu de l’appartement la porte d’entrée s’ouvre dans un couloir plus ou moins large qui distribue toutes les pièces.plan_trois_fe_colore

Il contient en général de nombreux rangements intégrés aux murs, ainsi que l’éminent cafoucho (cagibi dans lequel on peut mettre quantité de choses).

La chambre principale et la salle à manger contiennent des alcôves ouvertes et/ou fermées que l’on voit parfois encore si l’appartement n’a pas subi trop de travaux. Dans la chambre, l’alcôve constitue un renfoncement des murs pour accueillir le lit. Dans la salle à manger, il arrive que l’alcôve soit une pièce noire à côté d’un placard fermée par une porte. En outre, j’ai plutôt observé ce type d’alcôve dans les 3 fenêtres anciens ou modestes.

On ressent dans ces appartements la nécessité de coucher un maximum de monde, tout en préservant l’intimité.

Il n’existe pratiquement plus de cuisine ancienne dans les 3 fenêtres. Et on le comprend ! Dans les premiers immeubles construits, il n’y avait pas l’eau courante, parfois pas d’évacuation et encore moins le gaz et l’électricité. De fait, les cuisines ont suivi les évolutions technologiques et ont abandonné leur potager (là où on fait cuire la nourriture, pas le jardin) ou leur cuisinière à charbon. Pour l’eau courante, les piles (l’évier) en pierre de Cassis, ont bien réussi grâce à leur simplicité, à s’adapter à l’arrivée des robinets et des évacuations. On en voit donc encore beaucoup, bien que les propriétaires actuels les déposent malheureusement trop souvent.

En outre, la cuisine, haute sous plafond accueille un rangement maçonné (encore appréciable aujourd’hui!), ainsi qu’une soupente (ou suspente selon ma maman <3) qui s’appuie sur ce dernier. La soupente est un rangement en hauteur, large et difficilement accessible sans escabeau. Si aujourd’hui on y range des cartons avec la pierrade qu’on n’utilise jamais, la machine à raclette et autres machins encombrant la cuisine, à l’époque il a pu arriver apparemment qu’on y fasse dormir un gamin.

Bref, d’étages en étages, les 3 fenêtres (dont les baies [j’aime placer du vocabulaire] sont d’ailleurs assez grandes) sont tous à peu près les mêmes.

Deux fenêtres pour la chambre principale, une pour la petite chambre.

Deux fenêtres pour le salon, une pour la cuisine.

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D’où viennent les 3 fenêtres ?

face_3fe_modeste2couleurTypiquement marseillais, l’immeuble 3 fenêtres est pratiquement partout. La construction de ces immeubles débute vers le milieu du XVIIIe siècle et court jusqu’au début du XXe. On peut donc en voir dans les zones qui ont été urbanisées au cours du XIXe. Il est moins présent autour du port (ou c’est soit trop récent, soit trop ancien), ainsi dans les extrémités actuelles de la ville.

L’origine de ce format est un peu floue pour moi. Difficile de trouver une raison probable parmi tout ce qui se dit et l’absence de source (pour le moment en ce qui me concerne).

Le plus souvent, on entend dire que quand Marseille arrêta les galères au profit de Toulon en 1781, l’arsenal situé sur le cours Estienne d’Orves s’est retrouvé avec quantité de bois de construction, notamment pour des mats de bateaux. Ces derniers auraient alors été utilisés comme poutre. Et leur longueur permettait une largeur de façade de trois fenêtres. Or, sachant qu’un immeuble 3 fenêtres de trois ou quatre étages (+ cave et combles) doit comporter plusieurs dizaines de poutres et que le port ne devait contenir peut-être qu’une trentaine de galères, je crois qu’il n’est pas raisonnable de penser qu’il y ait un lien de cause à effet. Il y a beaucoup trop d’immeubles 3 fenêtres pour la quantité probable de bois dans l’arsenal. Et quand bien même on aurait récupéré des poutres pour construire des immeubles, cela aurait donné quoi ? trois ? quatre ? cinq immeubles ? Ce n’est, je pense, pas assez pour lancer un style architectural.

J’ai aussi entendu que la largeur des façades des immeubles 3 fenêtres permettaient de lotir plus d’appartements sur une surface réduite. Certes, la maison toute en profondeur est lefacade_chave_3fe_1403 concept de l’habitat médiéval (en Provence du moins). Mais l’idée fonctionne pour un site réduit et délimité comme Martigues par exemple. À l’époque où on a commencé à construire ces immeubles, la ville s’arrêtait approximativement à Notre Dame du Mont/la Plaine. Ce n’était donc pas l’espace qui manquait. Le plus urgent était surtout de permettre à cette surpopulation de l’époque d’avoir un toit rapidement.

Dans Histoire Universelle de Marseille, Alessì Dell’Umbria dit qu’il s’agit d’une architecture janséniste. C’est-à-dire austère je suppose ? On préfère le confort intérieur, au détriment de la façade.

Et si on va par là, on peut voir ces trois fenêtres comme un rappel à la Trinité. Personnellement, je ne trouve pas ça illogique, d’autant plus que l’on retrouve cette simplicité dans le monde des bateaux marseillais et même dans certaines bastides. Toutefois et comme le dit lui-même Monsieur Dell’Umbria, ces 3 fenêtres ont été construits en masse par des promoteurs comme André Chave (du nom du boulevard, 1799-1868). Est-ce que des hommes d’affaire avides d’argent et d’expansion vont penser à la Trinité des 3 fenêtres pour lotir les anciens terrains agricoles ?

 

Bref, JE NE SAIS PAS. J’espère savoir un jour.