Le cabanon

cabanon_males_colo (500x279)S’il fallait donner une définition du cabanon à Marseille, je dirais que c’est l’art de se satisfaire de bonheurs simples. Il se rapproche plus du patrimoine immatériel que d’un patrimoine bâti à proprement parler (il n’y a pas vraiment d’unité architecturale en plus). Toutefois, précisons qu’il existe le cabanon près de la mer tel qu’on le montre au monde depuis plus d’un siècle et le cabanon dans les terres dont on parle moins, mais qui a formé des quartiers entiers à flanc de colline. Celui-ci a disparu parce que les usages de villégiature ne sont plus les mêmes qu’avant, ou s’est pérennisé en vraie habitation du fait du développement des transports.
Bref, aller au cabanon est une pratique de jour de congé. On y va pour profiter du beau temps, s’occuper des plantes (les cabanons des terres avaient souvent un potager), pêcher, passer du temps avec les amis, se baigner… être au calme face à un beau paysage.

Pour revenir aux origines du cabanon, il y a plusieurs pistes à suivre.

La cabane de pêcheur

Sous l’Ancien Régime, les pêcheurs avaient le droit de construire sur le domaine public maritime, c’est-à-dire sur la côte. Ces constructions étaient alors considérées comme un outil de travail pour la petite pêche côtière et permettaient de se mettre à l’abri en cas de mauvais temps. Le cabanon était au pêcheur ce que le jas était au paysan: un lieu pour ranger des outils, pour pouvoir se reposer et être sur place la nuit ou aux aurores quand il le fallait.

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La Madrague

 

La maison du pauvre

Le cabanon est aussi devenu, petit à petit, une habitation quotidienne pour les familles pauvres. Marseille connaît à partir du XVIIIe siècle diverses vagues d’immigration, comme les pêcheurs catalans et italiens. Très pauvres et liés aux métiers de la pêche, il est fort probable qu’ils se soient installés dans des cabanons.

Un événement a aidé le phénomène: il s’agit du percement de la rue Impériale, aujourd’hui rue de la République. Construite dans l’épaisseur d’une colline, la rue Impériale a nécessité la destruction de plus de 900 maisons de la vieille ville et de 61 rues. La population qui vivait dans les maisons détruites a été obligée de trouver un autre lieu d’habitation. Une grande partie d’entre elle a pu aller vers le sud de la ville, là où il n’y avait alors ni villa ni bastide : au bord de la mer (l’actuelle Corniche Kennedy et les plages avant leur aménagement dans les années 1970).

Si cela a donné l’occasion à des populations pauvres de s’installer au bord de mer, ce n’est pas vraiment une chance. En effet, des photos d’archives montrent des cabanes sommaires. L’hiver, les jours de Mistral, les jours de tempêtes, on peut imaginer l’insalubrité, la précarité et la dangerosité de ces habitations. Au final, il s’agissait d’une sorte de bidonville au soleil.

Au fil du temps, les populations bourgeoises ou nobles ont fait construire leurs villas juste au-dessus de ces cabanons attaqués par la mer. Cela a contribué à chasser les cabanons plus loin sur la côte.

D’autre part, au XIXe des industries lourdes poussent d’abord en centre-ville, puis aux périphéries. Les ouvriers habitent non loin de leurs usines dans de modestes maisons plus ou moins proches du format du cabanon. C’est là où demeure une ambiguïté : le cabanon est un lieu d’habitation des ouvriers, mais sans doute aussi un poumon. C’est-à-dire que  ces hommes respirent des vapeurs toxiques toutes la journée et ils cherchent sans doute un endroit sain et agréable où vivre quand ils ne sont pas à l’usine.

Une villégiature populaire

dormeur01_colo À la fin du XIXe siècle, le cabanon devient vraiment l’expression consacrée de la villégiature des personnes ni riches ni pauvres.

Jusque dans les années 1920, le cabanon est vu comme un lieu d’hommes célibataires, un lieu de réjouissance. On pratique la pêche de loisir, on joue aux cartes à l’ombre d’une treille et surtout, on mange bien.

La cuisine du cabanon prend ce caractère masculin qu’elle conserve pendant très longtemps, si ce n’est encore aujourd’hui. Elle est la plupart du temps grillée. L’aïoli, la bouillabaisse et la bourride célèbrent la virilité de ceux qui la font avec des goûts forts et épicés.

Quand il s’agissait encore majoritairement de groupes d’hommes qui se réunissaient ensemble, le cabanon était réputé sale. On y mettait très peu de meuble. On s’habillait avec des vêtements usagers voire déchirés (ce qui à l’époque était plutôt choquant)…

Vers 1920, les femmes commencent à venir au cabanon en été. Au fil des mariages de ces jeunes hommes, chaque couple prend un cabanon individuel, idéalement proche de celui des autres. L’entrée de la famille au cabanon en finit avec les rigolades de jeunes mâles célibataires et change certaines attitudes.

La présence des enfants exige aussi l’amélioration du confort et de l’hygiène. Le cabanon passe progressivement d’un refuge négligé abritant un groupe d’hommes, à un petit foyer aménagé très simplement.cabanonfamille018COULEUR

La généralisation des congés payés en 1936 change totalement la donne. Le cabanon devient un lieu familial.

La seconde guerre mondiale a donné des besoins de récréation à la population marseillaise (ailleurs aussi sans doute) et a contribué à l’augmentation de la fréquentation des cabanons. Reste à définir ce qu’est le cabanon aujourd’hui, mais je ne m’y risquera.